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La Grande Muraille en DVD / Blu-ray : quand la Chine part à l’assaut d’Hollywood

“La Grande muraille”, qui sort en DVD / Blu-ray ce mardi, est une épopée à la gloire de la Chine, mais aussi tout à fait symbolique de l’appétence du pays pour Hollywood. Explications.

Dimanche 8 janvier, La La Land fait une véritable razzia à la 74e cérémonie des Golden Globes, qui s’est tenue dans un salon du mythique hôtel Beverly Hilton à Beverly Hills. La société productrice de l’événement, Dick Clark Productions, est logiquement ravie du succès de l’événement, retransmis sur la chaîne NBC. Le Show a été suivi par 20 millions de téléspectateurs aux Etats-Unis, soit la deuxième meilleure performance en une décennie pour ces récompenses hollywoodiennes.

Parmi les personnes satisfaites de la soirée, il en est une qui l’est sans doute plus que le reste de l’assistance : Wang Jianlin. Qui ça ??? Vous n’avez probablement jamais entendu parler de ce multimilliardaire, un des hommes les plus riches de Chine. Pourtant, il faudra vous y faire. A la tête du groupe chinois Wanda, il a racheté en novembre 2016 pour l’équivalent de un milliard de $ (soit environ 900 millions d’euros) la société Dick Clark Productions, créatrice des Golden Globes, mais aussi derrière les cérémonies comme les American Music Awards ou Miss America. En un sens, les Golden Globes sont désormais chinois. Cette opération de rachat marquait “une étape majeure dans l’expansion de l’empreinte Wanda dans le secteur du divertissement” précisait le groupe dans un communiqué de presse.

Acquisitions frénétiques

Lancé dans une stratégie d’acquisitions frénétique, le groupe Wanda sort depuis une poignée d’années son chéquier pour multiplier à tours de bras les rachats. En janvier 2016, il a ainsi mis la main sur Legendary Entertainment, le studio derrière les Batman de Nolan, Interstellar ou encore Warcraft, pour la coquette somme de 3,5 milliards de $. Il a également fait l’acquisition du groupe londonien de cinémas Odeon & UCI et ses 243 salles de cinéma pour 1,2 milliards $. En 2012, il faisait main basse sur la chaîne AMC pour 2,6 milliards de $. Encore un exemple ? Le 23 septembre dernier, le groupe Wanda annonçait un partenariat stratégique avec Sony Pictures. Wanda investira dans certaines productions à venir du studio, qui en échange “intègrera des éléments de culture chinoise” pour profiter de la croissance exponentielle du box-office chinois. Les experts et analystes du Box Office le savent bien d’ailleurs : la croissance annuelle du BO chinois, la plus forte du monde, est de 40%; et ils prévoient même qu’il dépassera le BO américain en 2020. Autant dire demain, ou presque.

Le mastodonte Wanda n’est évidemment pas un exemple unique; loin s’en faut. Toujours en 2016, année décidément faste en investissements chinois, le groupe Xinke New materials s’est offert 80% de Voltage Pictures pour un montant de 345 millions de $, avec possibilité de faire grimper l’enveloppe jusqu’à 518 millions de $. Jackpot pour les actionnaires. Dirigé par le français Nicolas Chartier, qui a d’ailleurs dû signer une clause de non concurrence, ce studio est derrière la production de films qui ont connus un gros succès et primés aux Oscars comme Démineurs ou Dallas Buyers Club. Et si vous vous demandez d’où peut bien sortir ce groupe Xinke New Materials qui diversifie son portefeuille à Hollywood, vous allez être surpris. C’est que son coeur de métier n’a en fait strictement rien à avoir avec le cinéma : la société est en effet un géant de l’industrie des métaux, valorisé sur le marché chinois à hauteur de 1,15 milliards de $.

Alibaba et la lampe hollywoodienne merveilleuse

Quand on dit que le portefeuille de l’Empire du Milieu ressemble à un puit sans fond… Début octobre 2016, Steven Spielberg s’est rendu sur place pour nouer un important partenariat avec l’homme d’affaires chinois Jack Ma. Cet ancien professeur d’anglais âgé de 52 ans est le fondateur d’un empire : le géant de l’E-commerce Alibaba. Dans le cadre de cet accord, Alibaba Pictures, division spécialisée dans le 7e art, devait entrer dans le capital d’Amblin Partners, la société qui regroupe les différents studios du cinéaste américain.

Né en décembre 2015, Amblin Partners reprend en fait l’ensemble des activités de DreamWorks Studios, moins la branche animation, désormais propriété de la Major Universal Studios. Le rapprochement entre les deux entreprises comporte deux volets. D’une part, la distribution, la promotion et le merchandising en Chine des films produits par Amblin. L’autre volet consistant en la coproduction et le cofinancement de longs-métrages. Pour Jack Ma, il s’agit d’une première pour un tel accord. Jusque-là, sa filiale Alibaba Pictures s’était “contentée” de participer au financement de plusieurs films hollywoodiens, dont Mission Impossible : Rogue Nation. En échange, elle avait obtenu les droits pour la diffusion en ligne du film. Quoi qu’il en soit, on imagine que l’accord a redonné à coup sûr le sourire à Spielberg : en dépit de vrais succès au Box Office, DreamWorks a essuyé plusieurs revers ces dernières années, en particulier la branche animation qui était devenue déficitaire. Jeffrey Katzenberg, le PDG de DreamWorks Animation, cherchait d’ailleurs activement un repreneur.

“La Grande muraille” est le premier film de son genre à avoir un tel budget dans le cadre d’une coproduction. Et il y en aura beaucoup d’autres. (Matt Damon)

On pourrait ainsi multiplier à l’envie les exemples. L’éditorialiste du New York Times James Hirsen, spécialiste de l’industrie de l’Entertainment, en recense d’ailleurs de très nombreux. Comme Lionsgate, qui a noué un accord financier avec le groupe Hunan TV & Broadcast Intermediary Co. pour un montant estimé à 350 millions $. L’ancien Top Executive de Warner, Jeff Robinov, est quant à lui parti monter Studio 8, en effectuant une levée de fonds de 200 millions de $ auprès du groupe chinois Fosun. Fast & Furious 7, produit par Universal Pictures, a reçu le soutien financier du gouvernement chinois via le fond d’investissements China Film Group, tandis que l’ancien PDG de la Major, Adam Fogelson, est parti monter sa société STX Entertainment en nouant un deal avec les groupes chinois Hony Capital et Huayi Bros.

De l’intérêt de la coproduction

Pour Hollywood comme pour la Chine, l’intérêt de passer par la case coproduction est non seulement évident mais surtout bien compris. Ce montage financier permet en effet de contourner la règle drastique des quotas de films étrangers autorisés sur le marché chinois, -quotas fixés au nombre famélique de 34-, qui sont de surcroît davantage taxés et dont le nombre de sorties / combinaisons sur écrans est restreint. Autant dire que rien n’est vraiment fait pour faciliter la tâche des studios étrangers qui seraient tentés de percer le marché chinois en faisant cavalier seul… Marché qui est devenu le second au monde après les Etats-Unis. En 2011, le Box Office chinois rapportait 2 milliards de $. En 2015, les compteurs étaient déjà à plus de 6,7 milliards $.

“Le marché chinois est nouveau et colossal. C’est le second marché au monde à présent, et il dépassera le marché américain dans les trois ou cinq prochaines années selon les experts. C’est pour ça que vous voyez ces films qui sont réalisés en ayant en tête le public chinois. Hollywood a conscience de ça.” (Matt Damon)

Si la Chine représente le second marché au monde, jamais le pays n’a produit directement de film aux allures de carton international. Du moins, pas au sens hollywoodien du terme. Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si le groupe Wanda, via Legendary Entertainment / Pictures, est derrière La Grande Muraille. Coproduction sino-américaine et épopée à la gloire de la Chine filmée par le vétéran Zhang Yimou avec un Matt Damon jouant les mercenaires dans l’Empire du Milieu, le film est le plus cher jamais tourné en Chine, avec son budget de 150 millions de $. Aux Etats-Unis, il n’a pourtant récolté qu’un peu plus de 45 millions de $. Au niveau mondial, le film a rapporté 331 millions de $. Un chiffre pas déshonorant, mais sans doute très en deçà des attentes logiquement élevées pour une telle production.

N’allez pas croire pour autant que les fonds d’investissements et autres groupes chinois se contentent de signer des chèques en blanc pour ces coproductions sino-américaines. Sur le film La rage au ventre par exemple, cofinancé par Wanda Pictures à hauteur de 30 millions $ et produit par la société US Weinstein Co., le groupe chinois a tenu à s’impliquer à tous les échelons du film, histoire de s’immerger et d’apprendre les ficelles du Hollywood Movie Business. “Ils étaient sur le plateau de tournage, impliqués dans la production, la post production, le marketing… Absolument tout” expliquait David Glasser, PDG de la branche internationale de The Weinstein Company, au Wall Street Journal; “ils veulent apprendre et comprendre ce que nous faisons et comment nous le faisons”.

Les Majors s’adaptent aux impératifs chinois, les Politiques s’inquiètent

Ces dernières années, Hollywood a déroulé le tapis rouge aux investisseurs chinois, et n’a d’ailleurs aucun état d’âme à modifier / adapter les scénarios et / ou les montages de ses Blockbusters pour mieux pénétrer le marché chinois. Ainsi, la version chinoise d’Iron Man 3 est plus longue de 4 min que la version internationale, parce qu’elle intègre des scènes tournées avec des acteurs locaux. Pour Transformers : l’âge de l’extinction, Paramount avait mis les petits plats dans les grands. Outre le tournage de scènes se déroulant à Hong Kong, l’avant-première mondiale du film s’est même tenue là-bas, avec l’équipe du film faisant spécialement le déplacement. Même un film comme Rogue One est notamment calibré pour le marché chinois : ce n’est pas pour rien que figurent dans les rangs des rebelles le duo Donnie Yen et Jiang Wen, et que les bandes-annonces destinées au marché chinois font la part belle à leurs personnages.

Ci-dessous, notre reportage de l’avant-première de “Transformers : l’âge de l’extinction” à Hong Kong…

"Transformers" : l'avant-première mondiale à Hong Kong

Devant cette offensive chinoise partie à l’assaut d’Hollywood, et plus largement devant l’influence de plus en plus grandissante du Soft Power chinois, certains esprits -politiques notamment- s’inquiètent. Dans une tribune publiée par le Comité éditorial du Washington Post datée du 5 octobre 2016, le quotidien rappelle que “s’il existe déjà un précédent avec les sociétés japonaises, qui dépensèrent des milliards pour prendre notamment le contrôle de Columbia Pictures”, il existe “une différence fondamentale entre cette frénésie d’achats menée par la Chine et le précédent japonais : le Japon est un allié stratégique des Etats-Unis, et une démocratie tournée vers la liberté d’expression. La Chine, par contraste, est antagoniste et dirigée par un dictateur, Mr Xi [Jinping], qui a ouvertement communiqué son agenda global de propagande, basé sur l’idée que “l’Art chinois se développera à l’avenir uniquement lorsque nous ferons des projets extérieurs qui serviront les intérêts de la Chine”.

Et le journal de rappeler que, mi septembre 2016, plusieurs parlementaires américains ont saisi l’Administration, redoutant une potentielle autocensure des productions américaines pour ne pas froisser la Chine. “Il n’est pas irréaliste de penser que la Chine cherchera à diffuser sa propagande pro-régime par l’intermédiaire des entreprises de médias américaines qu’elle détient” conclut avec inquiétude le Washington Post.

Avec un président des Etats-Unis qui ne cache pas son hostilité manifeste envers la politique extérieure chinoise sous toutes ses formes, politique comme économique, n’hésitant d’ailleurs pas à menacer d’entretenir des relations avec Taïwan, en dépit des engagements pris depuis 40 ans par les Etats-Unis vis-à-vis de la Chine qui s’est dite “gravement préoccupée” par ces déclarations, nul doute que les inquiétudes sur cette offensive chinoise à Hollywood ne sont pas prêtes de s’éteindre.

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